L’histoire de la Casamance, c’est tabou !?

LA CASAMANCE, CETTE HISTOIRE QUE LE SÉNÉGAL PEINE À REGARDER EN FACE

Dans un pays où 85% des citoyens ignorent la date du début du conflit, la publication d’une étude historique soulève des vagues. Entre tabou politique et amnésie collective, le plus vieux conflit d’Afrique peine à trouver sa place dans les mémoires

Publication 16/11/2024

(SenePlus) – L’annonce par le Premier ministre Ousmane Sonko de l’interdiction d’un ouvrage historique sur la Casamance ravive un malaise profond au Sénégal. Selon une enquête de Jeune Afrique (JA), cette décision révèle la difficulté persistante du pays à aborder sereinement l’histoire de cette région.

« Nous sommes un État unitaire, du nord au sud, de l’est à l’ouest. Nous ne voulons pas d’autonomie », a martelé Ousmane Sonko lors d’un meeting électoral à Ziguinchor le 1er novembre. Dans sa ligne de mire : l’ouvrage « L’Idée de la Casamance autonome » de l’historienne française Séverine Awenengo Dalberto.

La polémique autour de ce livre, que le Premier ministre accuse de participer à un « projet de déstabilisation », met en lumière un paradoxe saisissant : ce sont d’abord les opposants au pouvoir qui ont soulevé la controverse, l’APR de Macky Sall dénonçant le « mutisme » des autorités face à sa présentation prévue à Dakar.

Le grand vide historiographique

Une étude révélatrice du laboratoire Laspad de l’université Gaston-Berger, citée par Jeune Afrique, expose l’ampleur du problème : seuls 25,6% de la production scientifique sur la Casamance est sénégalaise. Plus troublant encore, 85% des Sénégalais ignorent la date exacte du début du conflit, et 65% ne savent pas ce que signifie le sigle MFDC.

« L’histoire de ce conflit n’est enseignée ni au primaire ni au secondaire, et à l’université encore moins, ce qui est non seulement surprenant mais troublant », soulignent les chercheurs Mame Penda Ba et Rachid Id Yassine dans leur étude.

La tension est palpable lorsqu’il s’agit d’évoquer le sujet. « Si l’initiative venait d’un Sénégalais, cela pourrait aller. Mais ce n’est pas aux Français de venir nous parler de la Casamance », confie à Jeune Afrique un proche du Premier ministre, seul membre du parti au pouvoir ayant accepté de s’exprimer sur la question.

Pour l’historien Nouha Cissé, cité par le magazine, le « déficit de production » sur l’histoire de la région n’est « pas forcément imputable à l’État ». Il pointe la responsabilité des Casamançais eux-mêmes : « On se plaint d’une situation dont on est responsable, parce qu’on ne s’est pas intéressé à notre propre histoire. »

Les enjeux politiques actuels

À la veille des législatives anticipées du 17 novembre, la position d’Ousmane Sonko prend une dimension particulière. « Je comprends Ousmane Sonko. Après des années à se faire taxer de rebelle, à être accusé d’avoir des accointances avec le MFDC, ce livre était du pain béni pour se démarquer de la rébellion », analyse un acteur politique de Ziguinchor cité par Jeune Afrique.

La question qui se pose désormais est celle de la réconciliation avec l’histoire. Comme le souligne JA, le défi pour le Premier ministre sera de réussir à apaiser la Casamance, cette « plus belle perle du collier Sénégal » selon l’expression d’Abdou Diouf, tout en permettant un débat serein sur son histoire.

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