« Thiaroye 44 », 80 ans: Il s’agit de « Rendre aux Tirailleurs sénégalais ‘indigènes’ leur humanité »
Massacre de Thiaroye au Sénégal: les commémorations du 80e anniversaire
Extrait des interventions de Pape Chérif Bertrand Bassène
Transcription…
(Attention, transcription générée d’une partie de l’extrait de l’entretient avec Pape Chérif Bertrand Bassène)
Bertrand Bassène, ceci dit qu’il y ait eu préméditation ou pas, qu’elle ait eu lieu à Paris ou à Dakar. C’est de toute façon le système colonial en lui-même qui est en cause à Thiaroye…
Oui, dans une approche purement mémorielle, on va prendre Ousmane Sembène qui dans son film Camp de Thiaroye… ; le film commence par l’évocation d’un massacre aussi qui a eu lieu en Casamance à la même période de 1943 et qui évoque un peu le fait que le pouvoir colonial, le système colonial a incendié tout un village qui s’appelle Effock et a jugé celle qui est supposée être derrière cette forme de rébellion, qui est Aline Sitoé Diatta, qui a été déportée d’ailleurs.
Donc le film, un peu, nous renvoie à cette situation, c’est que le système colonial avait un mode de fonctionnement qui s’est déroulé d’abord en Casamance et à Effock et le film aussi se termine par ce massacre de Thiaroye. Donc l’évocation… d’un caractère prémédité ne devrait pas nous empêcher de voir que c’est le système colonial lui-même et la justice coloniale elle-même devant une forme de justice qu’on appelle l’indigénat qui a été mise en application en 1944 à Thiaroye.
Il faut aussi dire à ce sujet que le massacre de Thiaroye intervient dans un contexte bien particulier. On l’a dit, la fin de la Seconde Guerre mondiale où la France a perdu de sa superbe et doit beaucoup à son empire dans la reconquête. 80 ans, jour pour jour, après le massacre de Thiaroye par l’armée française. On continue d’en parler jusqu’à 8h, temps universel, et j’accueille tout de suite deux nouvelles invitées dans cette édition spéciale.
(…)
Le deuil n’est toujours pas fait, dites-vous Diana Bassard. J’aimerais vous faire réagir là-dessus. Bertrand Bassène, vous qui êtes spécialiste de la mémoire, on peut dire que Thiaroye 44, Bertrand Bassène, reste une blessure collective dans la mémoire des Sénégalais aujourd’hui ?
Alors, une blessure collective…
Enfin, je ne voudrais pas qu’on fasse le procès des autres régimes.
Je me fais comprendre en disant ceci.
Si nous interrogeons qu’est-ce que Senghor a fait, on pourrait se demander à savoir, c’est quoi la commémoration au Sénégal, qui commémore-t-on et comment on le fait ?
Aux indépendances, il y avait d’autres exigences certainement qui étaient sur place, parce que si on se rappelle au Sénégal, on commémore beaucoup nos chefs religieux depuis l’indépendance. Et cette place-là, on avait besoin aussi d’une héroïsation et en ce moment-là, je considère que les politiciens de l’époque… coloniale ont cherché à construire un roman national.
Or, commémorer Thiaroye, comme vient de le dire la précédente intervenante, c’est commémorer l’Afrique. Alors qu’à l’indépendance, il a fallu penser d’abord à comment construire le roman national, à faire prévaloir un héros national plutôt qu’un héros panafricain.
(…)
Sous-entendu, maintenant que la France a reconnu sa responsabilité dans le massacre, il faut qu’elle reconnaisse sa responsabilité jusqu’au bout.
Bertrand Bassène, sur cette question, c’était important de reconnaître le massacre et c’est important que la France coopère davantage désormais, ça on l’a dit, pour faire la lumière. Certains demandent aussi à la France qu’elle présente des excuses. Qu’est-ce que cela résoudrait sur le plan symbolique et mémoriel ?
D’abord, qui dit reconnaissance, ce qui est intéressant à retenir ici, j’aime bien la thèse de Martin qui dit « De Thiaroye on aperçoit Gorée ». Alors ce que je veux dire par là, c’est que Thiaroye appartenait en 1944 à la France, parce que Gorée, Dakar et Rufisque étaient des communes françaises.
Autrement dit, à cela qu’on avait promis d’avoir la citoyenneté française par les armes, la France leur doit ça. Il leur doit une reconnaissance de leur humanité. Et donc d’où ce besoin ; l’archive d’ailleurs, le rôle de l’archive, c’est de pouvoir faire la comptabilité et de pouvoir leur rendre leur dû.
Donc à la place d’excuses, etc. Et tout ce qu’on demande, c’est que la France rende l’humanité à ces gens-là, qu’elle a traités comme des indigènes et à qui elle a appliqué une politique indigène. Leur rendre leur humanité.
Leur rendre leur humanité. Cet appel à aller plus loin, vous le partagez tous, pour que la vérité soit rétablie également sur Thiaroy 44. Ce n’est, ceci dit, pas qu’une demande sénégalaise. Elle existe aussi en France et dans la classe politique. Des députés principalement issus de la gauche ont récemment demandé officiellement la création d’une commission d’enquête. Faire la lumière sur le massacre, mais aussi sur les dissimulations de la France depuis 80 ans…
(…)
Bertrand Bassène, il nous pose aussi la question du ressentiment à l’égard de la France au sujet de ce qui s’est passé à Thiaroy en 1944. Quel est le sujet de ce ressentiment ? Est-ce que c’est le 1er décembre 1944 ? Ou est-ce que c’est la façon dont la France a parlé du massacre depuis et les silences qu’elle a imposés ?
Alors, précisons une chose.
Ressentiment, quand on parle de France, c’est au nom de cet homme d’État, qu’il soit de l’exécutif ou du législatif, qui parle au nom du peuple. Les Sénégalais n’ont rien contre le peuple français. Ils ont quelque chose contre l’État lui-même qui… de tout temps, depuis qu’il a fondé cette force noire, ce légionnaire noir qui est devenu le tirailleur sénégalais, a été utilisé pour libérer la France. Il a été utilisé pour défendre la grandeur de la France. Et tout ce qu’il a reçu, rien. Pas un droit, pas une dignité, pas un honneur. Cette jeunesse d’aujourd’hui est consciente de cela et veut, j’ai parlé tantôt, de leur rendre leur immunité (humanité) ; mais aussi de reconnaître qu’ils ont été à l’honneur. Il faut qu’en France, quelque part, on puisse ériger un Africain qui a travaillé pour l’honneur de la France, pour l’honneur d’une histoire partagée. C’est ça, en fait, qu’il faut considérer en termes de ressentiment. La faute n’est pas aux Français, en général. La faute est à l’homme politique qui parle au nom des Français. C’est à lui qu’on s’adresse directement.
Ça veut dire qu’il faut que la France fasse aussi la lumière sur ce qu’elle nous a, sur ce qu’elle a caché sur Thiaroye depuis 80 ans, en plus de faire la lumière sur ce qui s’y est passé ?
Il faut comprendre une chose, on croit bien que la complexité de cette affaire, c’est que c’est de la justice militaire. Et que aussi, quand on parle d’honneur, on parle des militaires. On comprend bien que la France, au nom d’une défense peut-être de tirailleurs qui ont été tués, ne mettra pas en danger l’institution qui est l’institution militaire. On le comprend très bien. Et alors, quand on parle de réparation, etc., mais en fait, c’est à titre mémoriel. Et je crois que si on suit ce qu’Ousmane Sonko dit, le Premier Ministre, d’ailleurs, durant la campagne, on voit bien que ce qu’il demande n’est pas si difficile à résoudre, en fait. Donc, c’est une sorte de reconnaissance, c’est une sorte de réparation qui n’a rien d’attaque contre les Français ou l’État français. C’est juste cette reconnaissance-là, elle est bien établie dans les politiques. Elle est plus panafricaine en fait que sénégalaise. Il faut qu’on ait cette lecture-là. Il ne faut pas s’attaquer au Sénégal. Ce régime actuel a des politiques mémorielles qui ont une tendance panafricaine. Ce n’est pas le Sénégal lui-même. Et quand on parle de panafricaine, c’est l’homme noir et le service qu’il a rendu à la France qu’on veut que la France commence à reconnaître.
Et d’ailleurs plusieurs dirigeants africains seront aujourd’hui aux commémorations. Il y a ces strophes, 80 ans après, qui résonnent toujours. « Prisonnier noir, je dis bien prisonnier français. Est-ce donc vrai que la France n’est plus la France ? Les premiers mots du poème que Léopold Sédar Senghor compose sur Thiaroye dans la foulée du Massacre…
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