Désethniciser l’Etat-nation, hypothèse renseignée par la Casamance

Comme disent les “Wolofs” (comme on dit en Wolof), Xéxhu njago du jexh ! 

C’est que, n’ayant jamais existé de guerre connue entre Njago et Wolof, on pourrait parler alors de querelles qui ne finit jamais chez les njago. Cependant, on retrouve dans cette maxime l’individualité du caractère Ajamaat. 

Après tout, le Ajamaat serait “celui qui témoigne, qui prend ses responsabilités” et que les Mandinka venus du Mali et qui côtoyèrent le fleuve Gambie ont fini par « exonymer » en « Joola », c’est-à-dire un peuple qui « aime se venger » (et se traduit parfois en “ceux qui habitent dans les bords des fleuves”, les fameux Felupes en Guinée-Bissau).

Historiquement, on peut dire que la conscience ajamaat n’a jamais péri. Il suffit de voir comment les résistances aux systèmes adventifs ont réussi à singulariser la “Sierragambie” par rapport à la Sénégambie. Elle a néanmoins été fortement menacée par les influences (géographiquement situées disons), sénégambiennes (des Mandinka et Futanké porteurs de l’Islam) et atlantiques (par les Européens). 

Ce que ces colonisations ont réussi, c’est la mise en place d’une certaine « érudition » qui permet désormais de consolider une certaine idée de la “nation”, de “l’ethnie” qui fait que, d’ailleurs, on n’arrête pas de se demander qui sont les premières populations de tel ou tel territoire.

En Casamance par exemple, au moment où l’on parle d’unité nationale au Sénégal, on retrouve un certain intérêt à animer la mémoire collective d’un narratif sur les premiers habitants, les autochtones dans la région. Comme dans ce débat sur “Urbanisation et réalités socio-culturelles en Casamance : quels défis pour un bon aménagement du territoire ?”  

Dans une chaîne locale. Un tel thème dès lors qu’il aborde des questions relatives à l’autochtonie, au foncier, à l’héritage casamançais, ne peut que convoquer la mémoire. 

Encore que, nous ayons quelques réticences sur cette interprétation historico-mémorielle des toponymes, endonymes qui nomment les terroirs concernés. L’historicité du groupe Baynunk est lié au monde atlantique, à la colonisation dans sa connotation esclavagiste et qu’on veut nous vendre sous forme positive.

Les Baynunks sont les populations locales qui ont accepté les contacts du monde atlantique en tant qu’entrepreneurs de la traite négrière implantés partout où il existait des postes de traites .

En tout état de cause, notre hypothèse a toujours été ainsi que, l’histoire de la Casamance est un cas d’exemple de réimaginer l’État-nation et tel que nous le démontrons dans, Histoire authentique de la Casamance : le pays ajamaat, influences adventives, entraves des institutions traditionnelles et manifestation de l’État dans la colonie française du Sénégal, c. — 1500-c. 1947.

La Nation ou si l’on veut, le concept d’Etat-Nation, tel que nous nous en inspirons pour consolider nos Républiques modernes est un concept colonial qui ne doit absolument pas nous nier tout fondement dans nos organisations traditionnelles. Il est un fait, l’État-nation sénégalais est le fruit de la colonisation qui s’est imposé par la violence aux dépens des modèles existants.

« Etat-nation » et culture de la violence (nationaliste)

L’État-nation que nous avons aujourd’hui est caractérisé par l’histoire de la colonisation dans sa connotation esclavagiste. Après l’ère des disputes côtières pour des postes de traites négrières — la Sénégambie éponyme (1765-1779) née de la guerre des sept (7) ans (1756-1763) va constituer le centre névralgique de la compétition franco-anglaise pour la domination du territoire géographique ainsi situé entre les fleuves Gambie et Sénégal — les Européens ont procédé à une conquête de l’intérieure à la suite de laquelle, les frontières géographiques arbitraires des États-nations actuels sont issues.

À l’intérieur de celles-ci, on retrouve un mélange entre sociétés sans classe (qui dominent la Sierragambie) et sociétés à classes (que l’on retrouve dans la Sénégambie). Il faut ajouter à cette nouvelle réorganisation forcée, la problématique de l’adéquation civilisationnelle, les premiers peuples mentionnés ayant préservé leurs institutions traditionnelles tandis que les seconds avaient subi des transformations réelles qui avaient contribué à faciliter les contacts.

Or, l’État-nation qui naîtra de cette expérience n’allait jamais tenir compte de certaines réalités anciennes ni « ethnique » ni du point de vue de l’organisation sociale. L’unité nationale, qui n’est que patrimonialisée et non héritée, est une donnée forcée déniant les populations qui cherchent à s’y situer toute conscience identitaire. 

Une telle tentative de fusion, selon les principes de la République, ne sera bien évidemment qu’à l’avantage des premières populations qui ont accepté et adopté les institutions coloniales ainsi proposées et vont les maintenir par les mêmes moyens : la force de l’État-nation !

Pour autant, la résilience d’un fondement traditionnel de la Nation, d’une certaine conscience identitaire, se manifestera toujours. 

Fondement traditionnel de la Nation : les Ajamaats, leurs cultures et plurilinguismes

Les Ajamaats, en plus de respecter les mêmes institutions traditionnelles et d’être linguistiquement unis, réussissent à communiquer indifféremment avec leurs différentes langues selon les espaces géographiques, terroirs…, où une des langues est dominante.

En effet, quand on enlève les apports Mandinka et le Fulani qui sont arrivés dans la Sierragambie avec l’islam ; entre Banjul-Bignona-Banjal-Bissau la même civilisation ajamaat traverse les différentes formes d’organisations anciennes. La cohésion institutionnelle derrière le Avvi (le Roi prêtre) avec un droit constitutionnel que les Banjal (nous l’avons introduit plus haut pour ce cas) gardent jalousement encore malgré les agressions externes apparaît sous forme d’une règle fédératrice que seuls les initiés connaissent.

En outre, dans le Pays ajamaat, l’État-nation n’a pas réussi à détruire le « droit négro-africain » (pour parler comme le Président Senghor) qu’ont hérité les populatons de la Sierragambie. Nonobstant le fait que le phénomène d’acculturation existe sous les phénomènes de « mandinguisation, fulanisation, gurmetisation » — les deux premières se manifestant à travers l’islamisation tandis que la seconde par la christianisation à partir du 16e siècle — le modèle fondé ne semblait pas être réellement pris en compte dans le façonnage de la nation postcoloniale.

La nation sénégalaise de type « négro-africain »

Pour un rappel daté, au Sénégal, c’est le pouvoir colonial, la France qui fonde la nation par les traités (de souveraineté plus particulièrement avec derrière le principe de manifestation de l’État) comme celui de Ngio (1819) qui allait débuter l’extension du Sénégal au-delà de Saint-Louis et Gorée. 

L’unité ancienne de type féodal du Grand Djolof, qui fut disloquée avec comme conséquence la séparation en entités divisées Djolof — Walo — Cayor, disparaissait pour laisser la place à la Sénégambie qui va de Dagana à Albreda. Ce fut le début de la manifestation de l’État-nation colonial qui se caractérise par une délimitation géographique à l’intérieur de laquelle on essentialise une ethnie dominante et des ethnies secondaires. C’est ce modèle-là, que le Sénégal va hériter sans le questionner fondamentalement au début et à peine dans les années 1970…

  • L’État-nation géographique

Nous l’avons déjà mentionné. Le Sénégal géographique sert à définir la première forme de l’État-nation colonial avec l’absorption dans la conception de celle-ci des territoires anciens connus. Il y a une certaine continuité patrimonialisée de la « Sénégambie » historique dont la « nationalité » ne saurait être reconnue sans renier l’existence d’une autre continuité, c’est-à-dire la « Sierragambie », qui a aussi ses réalités géographiques et linguistiques similaires.

Finalement, la géographie coloniale ne peut seule servir à défendre l’idée d’une « Nation ».

  • L’État-nation linguistique

C’est à partir des années 1970 que dans la Constitution du Sénégal (1963), on retrouve la langue intégrée comme élément de définition de l’État-nation, « diola, malinké, poular, sérère, soninké et wolof » deviennent des langues nationales. 

La langue, à la fois d’outil identitaire et de communication, est ce que possèdent certaines communautés historiques en commun comme héritage socioculturel. L’État-nation a ainsi reconnu à partir de 1978, sous le Président Senghor (ce linguiste en herbes qui avait le « Diola » comme objet d’études) que le problème de la diversité des dialectes [“Bak” : flup/diola, manjaque, mancagne, (kassanga/baynunk malgré le suivisme dérangeant des linguistes originaires), pépel…] par exemple soit résolu en une langue nationale sénégalaise, le « kuyatay » (Diola).

Chez Senghor, on peut dire que la reconnaissance des langues comme héritages socio-culturels nationaux permettait de consolider l’idée de l’État-nation sénégalais plurilingue, pluriethnique, de fédérer les subnationalismes. L’État-nation (né par la force de la géographie coloniale et) ayant préalablement hérité du principe de la République française une et indivisible, ne pouvait invisibiliser certaines majorités identitaires.

Senghor, il faut le dire, croit en l’État-nation (s) avec son cousinage à plaisanterie Aguène – Diambone – Débo… (pour reprendre les travaux du Gouverneur Saliou Sambou) et certainement pour protéger le Sénégal de la domination d’un modèle culturel « islamo-wolof ». 

Ce que la Casamancité enseigne en termes de dé-ethnicisation…

Les Casamançais, les Ajamaats singulièrement, nous l’avons souligné plus haut, parlent sans difficulté plusieurs des langues locales. S’y ajoutent que les langues dites officielles [anglais, portugais, français] peuvent également être des langues nationales et non exclusivement réservées à la rédaction des textes officiels dès lors que lesdites langues nationales sont codifiées et peuvent devenir officielles.

C’est que, en Casamance, dans le Pays ajamaat, l’ethnie n’a pas de sens — si tant est que la langue et la culture sont des critères déterminants de l’ethnie — les Casamançais parlent plusieurs langues en plus de partager des traditions culturelles similaires, issues d’une même racine civilisationnelle. 

Ici, on a réussi le vivre ensemble que certaines croyances (à caractère religieux d’ailleurs où dominent les pratiques importées) qui tendent à stigmatiser certaines pratiques culturelles locales au risque de les détruire. De même qu’en Casamance, dans le pays ajamaat authentique, nous l’avons dit prédomine une société sans classe comparée au reste du Sénégal où le néo-féodalisme des élites s’explique par la résistance des rapports sociaux de classes anciens.

Bâtir de nouveaux États-nations ?

Peut-on continuellement penser que le concept d’État-nation est intouchable ?

Il y a forcément quelque chose que l’on devrait tirer de la situation casamançaise. En 2011, jeune chercheur, quand le Président Wade soutenait la rébellion contre le Guide libyen Kadhafi, nous n’avions pas hésité à l’interpeller sur la possibilité d’un État casamançais pour construire sur les décombres de la confédération sénégambienne.

Derrière cette proposition provocatrice pour questionner les agissements d’un « Président Ceddo en cravate » qui rusait avec l’État-nation sénégalais contre un autre État-nation (s) frère, la Libye ; se dévoilait une vérité qui trahit une certaine paresse intellectuelle qu’utilise « l’État-nation profond » pour tétaniser les esprits qui travaillent sur la compréhension d’un phénomène de conflit établi dans les territoires de la Sierragambie. Posons la problématique autrement : peut-on avoir une Alliance des États du Sahel (AES), sachant que c’est une des conséquences de la chute de la Libye de Kadhafi que nous défendions en 2011 qui amène à réimaginer le sahel ? 

Historiquement, les États du Sénégal et du Soudan (Mali actuel) sont nés sous la Fédération de la République du Mali. Par la force des choses, le Mali est aujourd’hui en alliance sécuritaire avec le Niger et le Burkina Faso. 

L’échec de la Fédération du Mali ne prend souvent pas en compte le fait que ses ambitions politiques rusaient sur comment intégrer la Gambie (et peut-être plus tard la Guinée-Bissau) sans donner des appétits aux élites de la Casamance plus grande que la Gambie. 

Conséquence, même après la fin de la Fédération du Mali, la Confédération sénégambienne proposée n’a jamais su mettre fin aux ruses politiques. Quelle décentralisation poussée mettre en place de manière que la singularité de la Casamance par rapport aux différents États — Sénégal, Gambie (Guinée-Bissau) — puisse mettre fin à toutes les possibles conflictualités ?

À l’image de l’AES pourquoi ne pas revoir la notion de « nationalité » dans les États-nations actuels de la côte Ouest Atlantique de manière que la Casamance soit un espace national, une administration bâtie sur le modèle des subnationalismes environnants.

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