Histoire et mémoire. La France a ses morts en Casamance…
Go to this article 
Il y a 30 ans, l’affaire des « disparus de Casamance » secouait le département
En avril 1995, quatre touristes foréziens partis dans le sud du Sénégal disparaissaient, probablement enlevés. Si un procès a lieu vingt ans plus tard, le plus grand mystère entoure encore cette affaire.
Rémi Barbe (remi.barbe@leprogres.fr)
Un choc. Vendredi 14 avril 1995, la une de La Tribune-Le Progrès s’ouvre sur une information qui sonne le départ d’une interminable affaire : « Quatre Foréziens disparus en Casamance ».
Ces Foréziens, ce sont deux couples de quadragénaires et amis : deux Stéphanois, Martine et Jean-Paul Gagnaire, ainsi que deux Baldomériens, Catherine et Claude Cave. Leur disparition remonte en réalité à la semaine précédente : le jeudi 6 avril 1995, ils quittent leur hôtel de Ziguinchor en vue de se rendre au Cap Skirring, une zone réputée très touristique. La trace de leur 4×4 se perd entre Skirring et Oussy.
Volatilisés pendant une sortie en 4×4
Dès le samedi, l’hôtel signale leur disparition aux autorités locales. Puis le lundi, les familles sont prévenues par le tour-opérateur : les deux couples ne se sont pas présentés à l’embarquement pour leur vol retour.
Aussitôt, l’affaire est prise très au sérieux. Le Quai d’Orsay se mobilise et prend attache avec les autorités sénégalaises. Sur le terrain, ces dernières affirment déployer d’importants moyens pour retrouver ceux que l’on ne tardera plus à appeler « les disparus de Casamance ». Des avions et des hélicoptères survolent la zone. Des villages entiers sont fouillés de maison en maison. Des tombes fraîchement creusées sont même exhumées…
En vain. On ne retrouvera jamais aucune trace des deux couples de Ligériens dont la disparition, trente années plus tard, n’a jamais été élucidée.

Une région secouée par un conflit indépendantiste
La Casamance est une province du sud du Sénégal, située entre l’enclave de la Gambie et la Guinée-Bissau. En 1995, ce territoire revendique un million d’habitants pour 28 000 km² et est connu pour son attrait touristique.
Dès 1947, soit onze ans avant que le Sénégal n’obtienne son autonomie, un mouvement indépendantiste s’est formé pour réclamer l’indépendance de la Casamance. Au début des années 1990, des tensions éclatent dans cette région, opposant les autorités sénégalaises aux forces indépendantistes (divisées en deux franges dont l’une plus radicale).
L’épreuve de la rumeur
Pendant ce temps, à 4 000 kilomètres de Ziguinchor, les familles des quatre disparus vivent dans l’angoisse et remuent ciel et terre. Elles doivent démêler le vrai du faux parmi les nouvelles qui leur proviennent de Casamance. De faux espoirs naissent lorsque la presse sénégalaise relaie des témoignages de personnes assurant avoir vu les disparus, notamment près de la frontière avec la Guinée-Bissau. Il y a aussi la rumeur infondée et relayée également au Sénégal, faisant état de l’implication des deux couples dans un trafic d’armes. Ou encore ce communiqué des indépendantistes qui affirment que les disparus sont aux mains de l’armée sénégalaise…
Face à ce déferlement dans une affaire qui dépasse les frontières de la Loire et fait la une des journaux télévisés, les proches doivent donc se battre et garder la tête froide.
A lire aussi
>> Disparus de Casamance : « La vérité est-elle si terrible à dire ? »
Et dans le même temps, les investigations se poursuivent, fouillant toutes les hypothèses. À commencer par celle – privilégiée – d’un enlèvement. Pour autant, celui-ci n’a pas été revendiqué et il ne pourra pas être établi si la responsabilité en incombe au Mouvement des forces démocratiques de Casamance ou aux autorités sénégalaises. Dès les premiers jours de l’enquête, les séparatistes prennent les devants et expliquent qu’ils ne sont « nullement impliqués », allant même jusqu’à se dire « inquiets du sort de ces étrangers ». Dans son communiqué, le MFDC souhaite « que toute la lumière soit faite sur cette tragédie qui n’honore personne ».
- 01 / 03Les proches des disparus, reçus le jeudi 19 avril 1995 par le ministre des affaires étrangères Alain Juppé lors de son déplacement à Vals-près-Le Puy (Haute-Loire). Photo archives Philippe Vacher
- 02 / 03Les familles des disparus ont remué ciel et terre pendant des années pour tenter de faire jaillir la vérité. Photo archives Le Progrès
- 03 / 03Les proches des disparus, reçus le jeudi 19 avril 1995 par le ministre des affaires étrangères Alain Juppé lors de son déplacement à Vals-près-Le Puy (Haute-Loire).
Tout faire pour qu’ils ne soient pas oubliés
Tandis que l’enquête s’enlise et qu’aucun élément tangible ne permet d’orienter les recherches, un collectif se forme autour des familles. L’enjeu : maintenir la pression pour retrouver Martine, Jean-Paul, Catherine et Claude.
Tandis qu’une marche est organisée dans les rues de Saint-Étienne à la fin du mois d’avril, réunissant près de 500 personnes, le comité de soutien profite de la campagne des élections présidentielles pour solliciter les politiques. Le mercredi 19 avril 1995, quatre proches des disparus sont reçus par le ministre des affaires étrangères de l’époque, Alain Juppé, alors en déplacement à Vals-près-Le Puy (Haute-Loire). Dix jours plus tard, le samedi 29 avril 1995, ils sont reçus à Clermont-Ferrand par Lionel Jospin, alors candidat à la présidentielle. Dix-sept ans plus tard, le dossier reviendra sur la table du président de la République François Hollande, à l’occasion d’un déplacement au Sénégal.
- 01 / 03Le procès de l’affaire des disparus de Casamance s’est tenu en octobre 2004 devant la cour d’assises de la Loire. Le comité de soutien s’était fortement mobilisé pour soutenir les familles. Photo archives Claude Essertel
- 02 / 03L’accusé, poursuivi pour avoir participé à l’enlèvement et à la mort des quatre foréziens, était absent et a été condamné par contumace. Photo archives Claude Essertel
- 03 / 03Quelques objets retrouvés par les enquêteurs français en Casamance et présentés à l’audience en 2004. Photo archives Claude Essertel
Un chef rebelle indépendantiste condamné par contumace
Malgré cela, trente ans plus tard, le plus grand mystère entoure encore la disparition des deux couples de Foréziens. Onze mille jours durant lesquels l’enquête, menée dans une région quasiment en guerre, n’a permis d’obtenir que de maigres témoignages. Des bribes suffisantes pour qu’un procès se tienne, en octobre 2004, devant la cour d’assises de la Loire à Saint-Étienne. Un chef rebelle du Mouvement des forces démocratiques de Casamance est condamné par contumace à vingt-cinq années de prison. S’il n’a jamais pu être entendu par les enquêteurs français, il a été désigné par plusieurs témoignages et reconnu coupable d’avoir participé à l’enlèvement et à la mort des quatre touristes français.
- 01 / 02Jean-Paul et Martine Gagnaire. Photo archives DR
- 02 / 02Claude et Catherine Cave. Photo archives DR
Qui sont les quatre foréziens portés disparus
- Martine et Jean-Paul Gagnaire vivaient à Saint-Étienne, dans le quartier de La Béraudière. Martine travaillait à la caisse primaire d’assurances maladie tandis que Jean-Paul était salarié à l’entreprise Quaker (aujourd’hui Nestlé Purina) à Veauche. Tous les deux pratiquaient aussi le théâtre amateur dans la troupe des Comédiens du Masque. Le couple comptait beaucoup d’amis dans le Forez ainsi qu’en Haute-Loire d’où est originaire une partie de la famille.
- Catherine et Claude Cave vivaient quant à eux à Saint-Galmier, route de Chazelles. Catherine était assistante de direction dans le groupe Casino. Claude travaillait, comme Jean-Paul, à Veauche pour la société anonyme de construction et d’entretien des routes (Sacer). Le couple a deux enfants et était aussi très connu dans la région de Saint-Bonnet-le-Château et Usson-en-Forez.
Laisser un commentaire